A l’échelle des montagnes
“Un télescope hors norme qui renverse les principes des instruments classiques”
Le principe de l’Hypertélescope est simple. Au lieu d’avoir un grand miroir, le professeur Labeyrie a imaginé la mise en place de nombreux petits miroirs de 15 centimètres largement espacés, posés sur des tripodes de façon très précise au sol dans la cuvette d’un vallon et qui forment ensemble un miroir géant concave virtuel.
Au-dessus du vallon, située à 100 mètres de hauteur sur un câble, une nacelle avec un dispositif optique inédit mis au point au Collège de France collecte la lumière des étoiles réfléchie par les miroirs au sol. Cette nacelle est positionnée très précisément à l’aide de 6 haubans « dynamiques » manœuvrés par des treuils à la manière d’une marionnette à fils géante. Les câbles sont pilotés depuis trois emplacements situés à environ 300 m les uns des autres et reliés par un réseau wifi local alimenté par énergie solaire. Leur enroulement/déroulement, commandé par un ordinateur, permet de compenser le mouvement de rotation de la Terre et donc de pointer la nacelle dans la direction de l’astre pendant toute la durée d’observation. La lumière collectée est reçue par une caméra qui peut être installée sur la nacelle, ou bien au sol, renvoyée par le miroir secondaire de la nacelle.
L’image produite par un hypertélescope, s’il est équipé d’un correcteur adaptatif compensant la turbulence atmosphérique, est une image directe instantanée et non une image reconstituée après calculs à partir d’images successives. Avec les interféromètres classiques équipés d’un petit nombre de miroirs, il est nécessaire pour reconstituer une image de procéder à de multiples observations étalées dans le temps, afin de bénéficier de la variation de géométrie qu’engendre la rotation de la Terre. En raison du plus grand nombre de miroirs dont dispose un hypertélescope, améliorant ainsi l’échantillonnage de l’onde lumineuse et la formation d’un pic d’interférence plus intense, les observations effectuées sont au contraire exploitables immédiatement. L’imagerie directe ainsi rendue possible avec l’hypertélescope permet d’améliorer la sensibilité et d’accroître le contenu informationnel des observations.
La faisabilité d’observations astronomiques avec une nacelle focale accrochée à des câbles à plusieurs dizaines de mètres au-dessus d’un réseau de miroirs a été vérifiée avec un premier prototype à l’ Observatoire de Haute-Provence.
Les essais du nouvel instrument ont été entamés depuis trois ans (sur un site mieux adapté), dans un vallon profond des Alpes du Sud. Sa courbure régulière permet d’accueillir une « ouverture optique diluée » ou « méta-ouverture » dont le diamètre pourrait atteindre 200m. Pour réaliser ce projet, il a fallu trouver un vallon ayant la courbure idéale au sol et que ce vallon soit orienté Est – Ouest pour permettre l’observation la plus longue des différents objets célestes. De par la rotation de la Terre, les étoiles se lèvent à l’Est et se couchent à l’Ouest.
Un vallon correspondant à ces critères a été trouvé dans les Alpes de Haute-Provence dans la vallée de l’Ubaye. Il s’agit du Vallon de la Moutière situé à 2100m d’altitude sur la commune d’Uvernet-Fours près de la charmante ville de Barcelonnette, offrant un ciel exempt de pollution lumineuse et réduisant l’épaisseur de l’atmosphère, limitant ainsi les turbulences.
Tout comme les interféromètres radio, constitués de multiples antennes paraboliques, l’hypertélescope se prête à une installation modulaire évolutive. Il présente donc le même avantage : pouvoir produire des résultats scientifiques avant l’achèvement complet de l’installation. Le prototype actuel comportera dans un premier temps un ensemble de miroirs au sol totalisant un diamètre de 57 mètres. Le concept est évolutif, et permettra en principe d’agrandir à 200m le diamètre du « miroir dilué », ce qui lui donnerait une résolution atteignant 0,5 milliseconde d’arc, 80 fois meilleure que le télescope spatial Hubble.
Trois stades sont prévus pour l’exploitation :
- Sans optique adaptative, en reconstruisant les images par la méthode « interférométrie des tavelures » qu’avait inventée et exploitée au Mont Palomar A. Labeyrie dans les années 1970.
- Avec optique adaptative permettant la mise en phase par correction des effets atmosphériques, pour obtenir la formation d’images directes.
- Avec une étoile guide laser rendant l’optique adaptive applicable aux sources très faibles. S’il s’avère possible d’étendre aux hypertélescopes cette technique déjà exploitée sur de grands télescopes classiques, et en attendant l’exploitation d’hypertélescopes dans l’espace, c’est le moyen de faire bénéficier la cosmologie de la haute résolution angulaire.
L’Hypertélescope de L’Ubaye devrait au stade 2 fournir des images résolues des étoiles proches, c’est à dire permettant de voir des détails de leur morphologie individuelle. C’est le moyen de mieux comprendre le fonctionnement de ces centrales thermonucléaires naturelles. Au même stade, ce genre d’image permettra en principe de voir le passage d’exo-planètes en transit, sous forme d’un disque sombre traversant le disque apparent brillant de l’étoile mère. C’est le moyen de mieux sonder spéctroscopiquement
Alors que le futur « Extremely Large Telescope » européen (E-ELT) de 39 m de diamètre nécessite la construction d’une monture géante et d’une coupole, le réseau de miroirs optiques d’un ELHyT se déploie dans une vallée ou un cratère, sans monture d’orientation car celle-ci est fixe, et à ciel ouvert. Pour un même coût, un ELHyT pourrait donc disposer d’une plus grande surface collectrice qu’un E-ELT. Si la faisabilité d’utiliser une étoile guide laser pour former l’image de sources faiblement lumineuses est confirmée, l’ELHyT permettrait un gain en sensibilité et en magnitude limite et une résolution fortement améliorée. Les domaines scientifiques abordables avec un ELHyT iraient ainsi des étoiles – physique stellaire et transit des exoplanètes – aux galaxies à noyaux actifs et aux galaxies lointaines. Un ELHyT permettrait notamment de déceler des galaxies plus jeunes que celles accessibles avec les télescopes tels que Hubble, Keck ou le VLT. Certaines hautes vallées repérées dans les Andes et l’Himalaya semblent convenir pour accueillir un ELHyT.